ALENA : Un «mauvais accord» est-il vraiment pire qu'aucun accord pour le Canada

Cathy Duval |

Introduction

Malgré la guerre verbale qui a éclaté entre les dirigeants canadien et américain après le sommet du G-7, nous continuons de croire que le président Donald Trump ne cherchera pas à déchirer l’ALENA. Le contrecoup politique infligé par des États (y compris ceux qui ont voté pour lui), des entreprises et le Congrès (avec des membres des deux partis) pourrait mettre à mal son administration. Qui plus est, il s’ensuivrait inévitablement une bataille juridique de plusieurs mois pour savoir si le président a le pouvoir de résilier officiellement l’ALENA sans l’accord du Congrès. S’il mettait ses menaces à exécution, il risquerait de saper sérieusement un de ses principaux arguments : la solide performance de l’économie et des marchés financiers sous sa présidence.

 

La mauvaise nouvelle, c’est que plus les négociations tirent en longueur, plus il pourrait devenir risqué d’investir au Canada et au Mexique pour des entreprises cherchant un accès garanti au marché américain. Dans cette perspective, les droits de douane américains sur les importations d’aluminium et d’acier peuvent être perçus comme une tentative de créer une incertitude afin d’extorquer davantage de concessions commerciales. « Les discussions n’ont pas avancé assez pour justifier un autre report ou une exemption », a dit le secrétaire au Commerce Wilbur Ross. La menace des droits de douane sur toutes les voitures et pièces automobiles importées ne fait qu’ajouter à cette pression.

 

La stratégie de la crise des droits de douane de M. Trump

L’incertitude économique suscitée par les perspectives de négociations perpétuelles combinée à des menaces apparemment sans fin d’imposition de droits de douane pourrait avoir un effet à long terme plus important que l’imposition effective de mesures protectionnistes. C’est ce que M. Trump a résumé dans la citation suivante :

 

« Personne ne délocalise au Mexique. Tant que l’accord sur l’ALENA n’est pas définitif, aucune société ne va dépenser des milliards de dollars pour construire une usine automobile. J’ai dit aux Mexicains que nous pouvons négocier à l’infini; tant que les négociations se poursuivront, personne ne construira des usines automobiles pour des milliards de dollars […]. Nous sommes relativement près d’un accord. Peut-être à deux semaines, peut-être à trois mois ou à cinq mois; cela m’est égal.1 »

 

Le Canada se ressent aussi de cette incertitude. Bombardier illustre bien comment les menaces de droits de douane peuvent bouleverser des plans économiques. Même si l’International Trade Commission des États-Unis a renversé les droits de douane de 300 % sur l’avion C Series, les dommages ont été faits. Dès que des droits ont été imposés, Bombardier a conclu une alliance avec Airbus qui prévoyait le transfert d’une partie de l’assemblage des C Series du Canada aux États-Unis afin de les soustraire aux droits de douane. Malgré la victoire juridique, l’alliance est maintenue avec des plans de construction d’installations aux États-Unis à titre d’assurance contre de nouvelles mesures protectionnistes.

 

Conclusion

Étant donné les perspectives de négociations infinies, on peut s’attendre à ce que de plus en plus de personnes remettent en cause la déclaration du premier ministre Justin Trudeau selon qui un mauvais accord serait pire que pas d’accord du tout. À leur avis, un mauvais accord devrait être préféré au risque de voir certaines sociétés choisir de ne pas investir au Canada en raison de l’incertitude au sujet de l’accès au marché américain. Les conjectures de M. Trump sur une division desnégociations de l’ALENA en négociations séparées avec le Mexique et le Canada ne font qu’ajouter à l’incertitude.

 

Géopolitique en bref

Avec l’ALENA en place, le Canada représente une option lorsque des entreprises axées sur le marché mondial considèrent leur stratégie nord-américaine. Sans cet accord, les compagnies préféreraient investir directement aux États-Unis puisque le Canada est un petit marché moins attrayant.

 

Tout cela signifie que plus les négociations continuent, plus la position de négociation du Canada pourrait s’affaiblir. Nous avons besoin des Américains plus qu’ils n’ont besoin de nous.

 

 

 

1 « Trump says he’s in no hurry to finish NAFTA. That’s good because it may take awhile », Washington Post, 12 avril 2018

Source:  Banque Nationale du Canada Marché Financiers